mercredi

Plug-in lifestyle

Mon fidèle camion est maintenant transformé en spore... Comme une spore de bactérie ou de champignon, je l'ai laissé en partie vidé des affaires les plus précieuses, sur une place de parking près de la gare. Les affaires sont en lieu sûr. Je suis parti pour Bruxelles - où je commence à avoir mes habitudes. Deux petits jours de travail ici, et l'occasion de retrouver ce restaurant chaleureux où on se tape la cloche. On mange bien en Belgique (ou du moins, en Wallonie, ou du moins à Bruxelles...)

Un eeePC, une chambre d'hôtel, un restau... et aucun domicile fixe au loin. Dans "the Shockwave Rider", Brunner anticipe un monde futuriste où le réseau joue un rôle central. Visionnaire à l'époque, il a été l'un des inspirateurs de l'imaginaire d'Internet. Le héros vit en mode "plug-in". Il change de lieu sans cesse et se "branche" sur sa nouvelle vie à chaque fois qu'il bouge. Plug-in lifestyle... mode de vie rebranchable en sorte. Dans le monde actuel où la connectivité numérique devient de plus en plus omniprésente, mon quotidien se rapproche du plug-in lifestyle.

Pourquoi finalement "posséder" certaines choses ? Comme le chante Dido "nothing I have is truly mine..." De toutes façons, dans la tombe, six pied sous terre, nous n'aurons rien. Nous ne possédons rien, nous ne faisons qu'emprunter. N'est-il pas parfois un peu excessif de posséder, et d'emporter, avec soi, à l'autre bout du monde, en déménageant, ce qu'on pourrait trouver sur place ?

J'ai laissé derrière moi quelques affaires, mais pas de domicile. A part quelques habits et petites bricoles du quotidien, je vis entièrement sur des infrastructures d'emprunt. C'est l'âge de l'accès que décrit Rifkin.

Aujourd'hui la carte bleue vaut bien une clef. L'argent ouvre des droits. Qu'est-ce que le propriété, sinon l'usus, abusus et fructus, comme l'a conçu le droit romain ? Un Euro est un jeton, un bon pour certains services, certains droits. Pour 100 Euros, j'ai droit d'occuper 24 heures une chambre confortable à Bruxelles. Encore 20 Euros, j'ai le droit de consommer un bon dîner. Le droit de voir un film se paie, d'écouter un concert, d'aller d'un point à un autre, d'emprunter cette route, de parler à quelqu'un au loin... Ces Euros vous donnent le droit d'utiliser mes muscles pour une heure, d'utiliser mon cerveau pour résoudre ce problème. L'argent se convertit même en temps : temps de stationnement, temps de location, temps d'assurance ouvrant le droit de circuler... Droit de commettre des infractions... Pour quelques dizaines d'Euros on peut aussi avoir le droit de faire l'amour (ou de baiser, c'est selon) avec quelqu'un. Voilà une relecture du plus vieux métier du monde. Non pas une aliénation du corps, mais un échange de droits. Je t'autorise à me connaître, bibliquement s'entend, et en échange tu me donnes quelques jetons qui, plus tard, me donneront d'autres droits.

Jeannot lapin a pris une cuite et fait de mauvaises rencontres dans l'arrière cuisine. Mon Orval finie, le serveur me suggère une Leffe blonde pression sur mon lapin à la Kriek. Je n'ai pas le coeur de dire non...

A Bruxelles mon burn-rate avoisine les 150 Euros par jour. Nettement plus que dans le camion. Le plug-in lifestyle est, au choix, une nécessité de pauvre ou un luxe de riche. Peu de place pour ce mode de vie chez les classes moyennes. A-t-on jamais vu 007 chez lui, en charentaises, avec un plateau télé et une lessive de sous-vêtements dans la machine ?

Dans Shockwave Rider, le style plug-in pèse sur le psychisme des pratiquants en leur interdisant de se familiariser avec tout repère stable. En 2008 le domicile peut être partiellement numérique. Quelques réseaux sociaux (FaceBook, LinkedIn...), des blogs (pour preuve celui-ci) tiennent lieu de 'chez soi' dans le cybermonde ; email, Skype, SMS et mobile assurent le lien social, amical, affectif. L'errance du corps est compensée par la domiciliation virtuelle.

Comme une spore, le fidèle camion pourra traverser une période de latence et retrouver, le jour venu, tout son potentiel de lieu de vie. En attendant je voyage dans le voyage, je voyage 'unplugged', ou plutôt : plugged-in.