samedi

Droides et crétins

Comment commencer ce billet... Ah, je suis énervé. Je sens que je vais m'emporter. Je sens que je vais dire des choses que je pense.

Je ne suis pas Monsieur Toutlemonde, avec son logement, son travail, sa famille et sa télécommande. Je suis dans la peau d'un intouchable occidental. Sauf que je ne suis pas un intouchable "de naissance". Je viens y faire un tour. Je teste ma liberté. Ouch. De liberté... que nous reste-t-il ? La liberté d'être dans le moule, sans aucun doute. La liberté de choisir ce à quoi nous sommes de toutes façons contraints. Illustration à travers les mille tracas quotidiens infligés par droides et crétins.

L'autre jour je reçois un PV par voie postale. J'aurais commis un... excès de vitesse avec mon camion ! Le bouzin, qui date de 1986, avec ses 200.000 bornes au compteur, dépasse à peine les 100 Km/h sur l'autoroute, toutes voiles dehors et par vent arrière.

Mais bon. Un droide l'a dit. Un droide : un radar automatique. Une machine à punir automatique. Je m'empresse de contester. Que nenni me répond-on. Je peux m'entêter et porter l'affaire devant le tribunal. Mais, détail croustillant, pour cela il faut que je "consigne" une somme, correspondant à l'amende. Bien évidemment, si dans un siècle, j'ai gain de cause, elle me sera rendue. En attendant, je dois payer. Ce n'est pas de la présomption de culpabilité, non... juste de la punition temporaire.

Je m'exécute, par internet. C'est très bien fait : un site web, une carte bleue, les nouvelles technologies au service de la régression des libertés individuelles.

Puis voici que ce matin je reçois un appel sur mon portable...

- Allô, Monsieur X (je vous rappelle : je suis anonyme sur ce blog).
- oui c'est à quel sujet ?
- c'est le commissariat de Trifouilli-les-Oies
- c'est à quel sujet ?
- voilà, vous habitez bien au Y (je vous rappelle : je suis anonyme sur ce blog).
- c'est à quel sujet ?
- voilà vous avez récemment contesté un excès de vitesse.
- ah oui, c'est exact, que puis-je faire pour vous ?
- voilà, vous habitez bien au Y ?
- c'est mon adresse postale.

Explication : bien entendu, mon adresse postale n'est pas mon adresse de résidence, puisque je suis SDF. Mais cela, le képi téléphonique ne peut ni le comprendre, ni le supporter. Un bon citoyen doit être localisé. Sinon, il est suspect.

- ah, mais vous y résidez ?
- c'est mon adresse postale. Pourquoi ?
- j'ai une convocation à vous transmettre.
- très bien, vous pouvez me l'envoyer.
- voilà je vous explique. On a pour adresse pour vous le CCAS de Trifouilli... On vous a écrit et le courrier nous est revenu.

Je passe les détails. Les emmerdes du quotidien, c'est chiant, c'est chiant à écrire, c'est chiant à lire. C'est chiant à l'écran. C'est chiant quand on détaille. Ce n'est pas exotique. Voilà pourquoi c'est si mal documenté dans les films, reportages, émissions, articles, de nos media. Qui a envie de rentrer dans le détail des mécanismes aliénants de notre monde ? A quoi bon ? De toutes façons, on a les mêmes à la maison. Même - et surtout - quand on n'a pas de maison.

Cette micro-péripétie me renvoie instantanément vers... le CCAS :) Mais oui, vous savez, le sauveur qui m'avait sauvé la mise, l'an dernier, en me domiciliant alors que le fisc exigeait, pour ma déclaration d'impôts, que j'ai une adresse "en dur"...

Sauf que nous sommes un an plus tard. La domiciliation a expiré. Sans que j'en sois averti. Et sans autre forme de procès... Bon, je peux toujours retourner voir mon assistante sociale... Mais cela ne fera que repousser le problème d'un cran.

Le pot aux roses est ailleurs...

Une fois la domiciliation expirée, le CCAS renvoie purement et simplement le courrier (NPAI, N'habite Pas à l'Adresse Indiquée) aux expéditeurs. Il ne fait pas suivre :) Trop bien. Comme ça, par exemple, les impôts, un an plus tard, avec leur gueule enfarinée, vont m'adresser je ne sais quel courrier (déclaration, tiers provisionnel, que sais-je) et se voir retourner la lettre. Sans que j'en sache rien. Sans que la lettre ne suive.

Là on touche du doigt le double effet Kiss-Cool de la domiciliation :
  • phase 1, lorsque l'on n'a pas de domicile fixe - il est obligatoire de se faire domicilier
  • phase 2, s'il advient que l'on se retrouve dans un domicile fixe par la suite - alors le courrier (administratif) se perd.
Autrement dit, la domiciliation "sociale" ne sert pas à offrir une adresse, elle sert à différer le moment où le courrier sera perdu. Avec l'effet de bord hallucinant, à supposer que vous soyiez dans la merde et que vous vous en sortiez, que c'est aun moment où vous sortez la tête de l'eau que vous vous retrouvez sans correspondance !