jeudi

Fer à dix sous

Il y a longtemps, je devais aller à Londres pour une réunion... Panne d'oreiller, c'est le taxi qui m'a réveillé. J'ai enfilé une chemise, prise en boule dans le placard, et sauté dans le taxi, pas rasé, pas lavé. Pour passer une journée éprouvante, face à un gentleman tiré à quatre épingles, boutons de manchette et col impeccablement amidonné... Depuis, je ne me déplace plus sans fer à repasser(*) !!!

Donc il y a un fer dans le camion. J'ai trouvé pour 5 Euros, dans un petit dépôt-vente, un fer de voyage de... 350 watts. Seulement. Un truc rare, qui du coup peut s'alimenter avec le générateur 220 V du camion !

(*) si j'étais riche, ce serait sans une soubrette repasseuse que je ne me déplacerais jamais !

lundi

Soirée au Camionisthan

"Je hais les voyages et les explorateurs." Il ne mâche pas ses mots, le père Levi Strauss. Et voilà qu'il entreprend de raconter ses voyages précisément, et qu'il explique aussi pourquoi il a une dent contre les "explorateurs". Du moins, ceux que notre monde produit. Je partage son point de vue. Le seul intérêt du voyage est de voir l'envers du décor. Si l'on se contente de l'apparence, qu'il s'agisse d'exotisme réinventé avec plumes et tambours ou de terroir plaqué pour camoufler la désertification rurale, si l'on se contente de l'apparence, donc, on ne voyage pas. On se divertit. Une bonne télé suffit. Alors qu'une fois la télé éteinte, sans vraiment quitter son quartier, le voyage peut commencer. Il s'agit de remonter le temps et les causalités, les histoires, les pourquoi et les comment.

Ce soir, j'ai jeté l'ancre dans un camping municipal - pour la première (et la dernière ?) fois de la croisière. Oh, pas un camping trois étoiles dans un cadre paradisiaque. Plutôt un camping de banlieue, en zone urbaine pavillonnaire. Le soir arrive, la nuit tombe, le camtar est posé sur un emplacement herbeux, entre deux haies, le nez vers les frondaisons. J'ai quelques tâches ménagères à accomplir aujourd'hui.

La principale : laver mon linge ! J'attrape donc le sac à linge et la lessive, et direction le bloc sanitaires. Côté hommes, côté femmes et, au milieu, un local avec deux énormes machines à laver. Je les considère avec intérêt... et incompréhension. Le monnayeur est plutôt rustique et ne correspond à rien de courant. Les locaux sont déserts. J'entends le silence qui résonne entre les murs carrelés. Une femme entre, ses pas se dirigent vers les toilettes. Elle ressort. Puis un homme entre. Il m'aperçoit, perplexe, face aux machines.

L'homme a peut-être la cinquantaine. Il me sauve d'un sort atroce en m'indiquant qu'il faut prendre un... jeton... à l'accueil. Mais celui-ci ferme à vingt heures. J'y cours j'y vole et arrive à temps. Les jetons sont... des pièces de un Franc ! Les machines antiques fonctionnent avec de vieux monnayeurs. Les tenanciers du lieu ont fait provision de pièces avant le passage à l'Euro. Pour quelques Euros on "achète" ainsi une vieille pièce, que l'on fourre illico dans le machine. La pièce revient alors dans le stock, prête pour un prochain vacancier.

Vacancier ? C'est novembre, et le camping ne grouille pas. En cette banlieue péri-urbaine, l'ambiance n'est pas aux apéros ensoleillés ni aux petits jaunes entre amis d'un soir. Mon sauveur, lui, semble pourtant être coutumier de la bouteille, et de l'endroit. Il arbore un solide érythème et exhale une haleine alcoolisée. Il est affable et manifestement ravi de trouver un peu de compagnie, fût-ce dans un lavomatique.

Ces machines, il les connaît. D'ailleurs, il demande à voir ma pièce de un Franc, l'air gourmand. Il la considère, me la rend. Je reste sur mon quant-à-moi... Jusqu'à ce qu'il commence à m'entreprendre sur la monnaie, les pièces, tout ça. Il est numismate ! Des Euros, il en acheté, avant tout le monde. Il les garde précieusement. Il connaît la semeuse, mais aussi les pièces de un Franc rares, celle qui ont des défauts. Et la nouvelle pièce de 100 Euros en or ! Il en a déjà commandé ! Pour moi, c'est trop tard. Elle sont déjà toutes réservées. J'apprends que des pièces de 5 et 15 Euros, en argent, seront mises en circulation. Il suffira d'aller à la Poste et de demander la monnaie sous forme de telles pièces.

Mais revenons à nos moutons. Cet affable monsieur, s'il est dans ce camping, errant à vingt heures, un jour de semaine de novembre... ce n'est sans doute pas seulement par passion des pièces et amour des monnayeurs rustiques. Son histoire, je ne la saurai jamais. Mais quelque chose me dit qu'il est ici chez lui...

Une soirée au Camionisthan, ce pays lointain, si proche, pour peu que l'on on écarte le rideau du quotidien le temps d'une soirée hors vacances scolaires dans un camping de banlieue. Des voyageurs, je n'en ai vu aucun ce soir. Quant à parler d'explorateurs...

La beauté du Monde

Mon camion est monté, à la nuit, vaillament, au fil des virages vers cette clairière à peu près plate et désertée les nuits de semaine, l'hiver. Souvent en première.

Une nuit froide et claire. Le ciel, entre les silhouettes des grands pins, est pur et étoilé. Le silence. Une bonne nuit et un sommeil paisible. Et au matin, seul au monde dans cette forêt. Le p'tit déj', quelques promeneurs qui apparaissent. Bonjour, c'est tout. Aucun ne s'attarde. La beauté du monde au quotidien.

S'endormir et s'éveiller en montagne, en pleine forêt : voilà pourquoi, certains soirs, je décline les invitations et je m'enfonce, avec mon fidèle voilier de la route, vers un petit coin caché de l'étage forestier.